Le 28 décembre 2020, un panel d'experts a remis au gouvernement de la Colombie britannique son rapport final sur le revenu de base: Covering all the Basics: Reforms for a More Just Society.
Bien que le rapport soit favorable aux principes du revenu de base, il tranche en faveur du rejet de cette idée. On ne verra pas de si tôt une étude aussi fouillée. Evelyn Forget fournit une critique détaillée.
Je me contente d’imaginer les idées qui passent par la tête de quelqu’un de concerné qui fait la queue.
Me voici donc dans la file. Je ne suis pas sûr c'est laquelle. Ils l’ont peut-être annoncé. Je n’ai pas fait attention. Comme on dit: “Ventre affamé n’a pas d’oreille.” Ça ne peut pas être la banque alimentaire, j'y suis allé la semaine dernière et vous ne pouvez pas y aller deux semaines de suite même si la bouffe dure à peine 10 jours.
C'est la file d'attente pour la solution finale à la pauvreté, je pense. Tout devant, trône le fonctionnaire qui vient de terminer un rapport de 529 pages sur le revenu de base. Deux ans et demi de travail. Une documentation volumineuse. Une analyse approfondie. La conclusion: le revenu de base n'est pas la solution. C'est une bonne idée — sauf pas la meilleure en ce moment.
Le fonctionnaire est donc assis sur un gros tas de pognon prêt à être distribué. Il ne s'agit pas du budget régulier. Celui-là a disparu: un tiers aux bénéficiaires et deux tiers à l'administration, y compris les confortables salaires du fonctionnaire et ses collègues.
Le fonctionnaire réfléchit à la façon de distribuer l'argent sans me nuire.
J'oublie si je lui ai dit combien il me reste une fois que j'ai payé mes factures: loyer, chauffage, électricité, téléphone, nourriture, carte de bus. Ça n'a pas d'importance. Je n'ai jamais assez pour tout acheter chaque mois, de toute façon. Il le sait, car mes prestations sont fixées à la moitié du niveau de la pauvreté. C'est une fonction, pas un bogue, comme on dit.
Je ne lui en parle pas. Ça ne fait que le rendre mal à l'aise.
Je ne peux pas imaginer quel mal ça me ferait d'avoir assez d'argent pour vivre dans la dignité? Moi, je serais prêt à endurer les inconvénients. Donner de l'argent directement est apparemment plus inefficace que d'améliorer l'un des 192 programmes différents destinés aux personnes défavorisées. Ils sont plus rentables et mieux ciblés que l'argent liquide.
On peut se demander pourquoi, si ces programmes sont si formidables, l'aiguille n'a pas bougé depuis 40 ans. Enfin...
Je sais ce qui inquiète l'agent qui s'occupe de mon dossier (chic type d'ailleurs, comme un père pour moi) . Il a peur que la flamme de l'incitation au travail qui brûle en moi ne s'éteigne. Cette lumière vaut plus que la vie elle-même — du moins plus que la mienne. C'est un privilège que de préserver cette flamme intérieure, comme un lampion. Je ne peux pas imaginer ce que j'ai fait pour mériter cet honneur. Il semble réservé aux personnes qui reçoivent de l'aide sociale ou occupent des petits boulots précaires. Les gens aisés n’en ont pas besoin ou ne sauraient quoi en faire, semble-t-il. C'est vraiment dommage pour eux.
Je suis allé chercher un emploi l'autre jour. Le commerçant me dit:
—Tu n’as pas d’expérience alors?
—Détrompez-vous, monsieur, la pauvreté ne nous enseigne pas à mener pisser les poules! Survivre est un emploi à temps plein.
—Je vois que tu reçois l'aide sociale. Qu’est-ce qui me dit que tu ne vas pas me voler parce que tu es désespérément pauvre ?
—Je suis honnête, monsieur. Et de plus, la flamme de l'incitation au travail brûle en moi!
—La quoi? Je n'ai jamais entendu parler de ce truc. C'est une blague, fiston? De toute façon, je préfère engager un jeune ambitieux plutôt qu'un vieux raté, sans vouloir t’offenser.
La ligne ne bouge pas. Elle n'a pas bougé de la journée. En fait, la ligne n'a pas bougé depuis des années. Je reviendrai demain. Il sera encore en train de penser. Il a peur, ses collègues au ministère aussi, et ses supérieurs dans le gouvernement, peur de prendre une décision impopulaire, peur de créer un scandal en corrigeant une injustice, peur que des démunis aient l'air d'abuser un tant soit peu de la charité des bonnes gens respectables.
Nous avons quand même fait de grands progrès aujourd'hui. Nous avons appris que les solutions actuelles ne fonctionnent pas (j’aurais pu leur dire) et nous avons découvert que les nouvelles solutions, comme le revenu de base, ne fonctionneront pas, ou bien ne devraient pas fonctionner si elles fonctionnent.
La voie à suivre est évidente, n'est-ce pas?
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