Premièrement, le pauvre adhère aux valeurs de la société qui l'exploite. Le Revenu de base et un affront à sa dignité.
Deuxièmement, le pauvre est un obstacle incontournable et utile. L’affranchir de sa misère serait d'éliminer l’épouvantail qui fait peur aux autres, et de récompenser le péché.
Troisièmement, le sentiment de charité qu'évoque le pauvre mène de façon perverse à une attitude paternaliste et infantilisante, tout le contraire de la raison d'être du Revenu de base: liberté et opportunités pour tous.
Comment le pauvre se voit-il
Celui qui souffre le plus des injustices de la société est le premier à la défendre. Le pauvre croit fermement, malgré les preuves qui l'entourent, que l'effort et le mérite sont toujours récompensés. C’est le message véhiculé comme “une évidence” dans la culture populaire et martelé par les gouvernements qui y trouvent leur compte. Le corollaire, c'est qu'on est personnellement responsable de son échec.
Le Revenu de base est un affront aux valeurs du pauvre. Il tient à l'illusion que le riche a gagné son succès par une compétition honnête. Bien que rarissime soit le pauvre qui fasse le saut vers la prospérité, il garde espoir que demain ce sera son tour, et que de plus il pourra se vanter que la chance n’y était pour rien.
L'idée de distribuer, par solidarité, un Revenu de base permettant de vivre avec dignité l'horripile. Le priver de sa punition, aucunement méritée, l’empêche de se bercer de rêves illusoires. Selon Félix Leclerc, le payer à ne rien faire c’est, parmi les 100,000 façons de tuer un homme, la plus efficace.
Pourtant, rien ne m’a fait sentir pauvre comme la fréquentation d’une banque alimentaire. Depuis l’inscription, l’attente et le choix précipité parmi des produits rejettés par d’autres, tout est humiliation. Malgré la bonne volonté des bénévoles, le service se transforme en sévice. Une mort à petit feu — inefficace?
Comment voit-on le pauvre
L'assisté social soulève de nombreuses émotions. On déteste le pauvre pour l'image qu'il nous renvoie de l'échec. Il nous impose une charge et nous envoie un avertissement. Du fond du miroir, il est en lambeaux et nous prévient: “Voilà ce qui t'attend si tu te trompes.”
Quand j'ai raconté qu’à 62 ans j'étais inemployable, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale de l'époque m'a répondu: “il faudrait voir les choix que vous avez faits dans la vie.”
Le pauvre, c'est celui qu'on doit aider en faisant bien attention de ne pas l'aider trop. Si on aide trop les fainéants, on encourage la paresse. Monsieur tout le monde le croit. Le pauvre aussi le croit. C'est le message que le gouvernement répète sans cesse.
“Tu ne travailles pas, tu ne manges pas” 2 Thessaloniciens 3:10
Comment se voit-on à cause du pauvre
Histoire vraie: On explique le revenu de base à une travailleuse communautaire. Je comprends soudainement et s'exclame “vous allez me voler mes pauvres!”
J'ai moi-même entendu une universitaire féministe se plaindre que le revenu de base éliminerait de la bureaucratie. “Ce sont de bons emplois majoritairement occupés par des femmes. Qu'avez-vous contre les femmes, monsieur?"
Ces réactions n'ont de sens que dans un contexte où la pauvreté est une fatalité plutôt qu'une invention humaine. Ce qui sous-tend ces réactions ce sont des sentiments comme: “Ils ont besoin d’aide.” Ou bien mon préféré: “la pauvreté n’est pas seulement une question d’argent.” Alors on donne généreusement toute sorte d’aide — sauf de l’argent.
Inutile de donner de l'argent aux pauvres, ils ne sauront pas comment s'en servir. Il n’y a qu’à les regarder pour s’en convaincre.
Il s’agit d’un problème à gérer plutôt que d'une injustice à corriger.
Le pauvre ne renvoie pas une belle image de nous-mêmes. On voudrait être cette admirable personne aidante, compatissante et généreuse. Or on imagine trop le pauvre flamber son Revenu de base sur de la bière pour anesthésier sa misère. Non, c'est bien moins risqué de donner son argent à un organisme charitable. Ce sont des gens bien et souriants qui administrent nos dons. Des gens à l'aise et propres de leur personne, à qui on voudrait ressembler et à qui on peut faire confiance pour responsabiliser le pauvre et ne pas trop le gâter de ressources.
C’est le mépris qui se donne bonne conscience.
Vaincre l’opposant et surmonter l’obstacle
Toute association de la pauvreté avec le Revenu de base est un cul-de-sac. C'est contre-productif. Le système lui-même est un salmigondis d’absurdités immorales dont on peut tirer quoique ce soit de bon.
Le pauvre lui-même contribue pleinement à perpétuer les crimes qu'on commet contre lui. Il partage les préjugés de la société. L'industrie de la pauvreté qui voit sa pérennité comme allant de soi, repousse la menace du Revenu de base. Les syndicats aussi, y voyant une menace au travail, qu'ils refusent de considérer comme une forme d'esclavage.
Ma conclusion, c’est que tout ce qui touche au pauvre est un nid de vipères de contradictions et de confusion. Que celui qui aspire à un Revenu de base s’en tienne loin. Dans les mots de Bernard Friot : "Un projet révolutionnaire ne peut jamais passer par un soutien aux pauvres!"
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