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Revenu de Base: Certaines conditions s'appliquent

Dernière mise à jour : 17 janv. 2021


Au Canada, certaines conditions s'appliquent aux allocations inconditionnelles et tout le monde n'a pas droit aux prestations universelles.


Le Basic Income Earth Network (BIEN) définit le Revenu de base comme un paiement périodique en espèces versé sans condition à tous sur une base individuelle, sans examen des ressources ni obligation de travailler.


Je ne pense pas que cette proposition soit pleinement appliquée au Canada ni ailleurs dans le monde. Cela ne m'inquiète guère car le Revenu de base universel portera à jamais les traces de ses origines dans le filet de sécurité sociale très imparfait que nous avons aujourd'hui et que nous avons toujours eu. Les institutions humaines évoluent à partir d'ancêtres communs : deux politiques très différentes sont toujours reliées par leur histoire commune. La jambe d'un cheval correspond aux os de notre orteil du milieu, ce n'est pas du tout la même fonction, mais c'est équivalent au point de vue de l'évolution.


Il n'existe pas de programmes sociaux universels au Canada. Une condition s'applique toujours pour réduire le montant et éventuellement éliminer complètement la prestation. Ceci est indépendant de toute considération sur le fait que le programme soit suffisant, nécessaire, réalisable, ou même approprié. 


Lorsque le Canada a instauré l'impôt sur le revenu en 1917, l'une des caractéristiques de ce programme temporaire était l'exemption personnelle : $1,500 pour les célibataires et $3,000 pour les autres, $24,500 et $50,000, en dollars d'aujourd'hui. Bien que cette prestation soit en espèces, il ne s'agissait guère d'un transfert, puisque vous ne conserviez qu'une partie de l'argent que vous aviez déjà. C'était individuel, un couple recevant deux fois plus qu'un individu. Elle était inconditionnelle en ce sens qu'elle n'était assortie d'aucune condition, d'aucune exigence de travail, d'aucune déclaration de moyens (biens ou possessions) autres que les revenus. C'était universel, sauf que le montant dépendait des revenus. Le 4 % accordé sur les premiers $1,500 fondait à néant si vous n'aviez pas de revenus.


Or 99 ans plus tard c'est l'introduction de l'Allocation canadienne pour enfants (ACE), en 2016. Aujourd'hui, nous faisons la distinction entre les déductions fiscales remboursables et les déductions non remboursables. L'exemption personnelle est l'une de ces dernières. Les bénéfices ne font que réduire votre charge fiscale. Vous n'avez droit à rien si vous ne payez pas d'impôt sur le revenu. L'Allocation canadienne pour enfants est l'une des premières et constitue un authentique Revenu de base, bien que certaines conditions s'appliquent.


L'Allocation canadienne pour enfants (ACE)


L'Allocation canadienne pour enfants est versée même si aucun impôt sur le revenu n'est dû. Il s'agit clairement d'un transfert de fonds.


L'ACE est-elle universelle ? Elle est versée à toutes les familles avec enfants. Ou est-ce à tous les enfants avec familles? Bien sûr, vous ne pouvez pas envoyer un chèque mensuel à un poupon. La personne qui s'en occupe reçoit l'argent sans aucune condition. Lorsque le Revenu de base universel est distribué à tous les adultes, son universalité n'est jamais remise en question dans les propositions comme celles de BIEN ou d'Andrew Yang. Est-il moins légitime de limiter l'allocation aux enfants parce qu'ils sont à charge ? En fait, les enfants "sans famille", c'est-à-dire "entretenus par un organisme", bénéficient également de l'allocation. Les montants sont identiques, seul le nom du programme change. Je pense que ça règle la question : c'est une prestation pour les enfants, pas une prestation pour les familles avec enfants.


L'ACE est-elle individuelle? Si vous considérez qu'elle est versée aux familles, alors non. Si, par contre, comme je le prétends, elle profite aux enfants individuellement et qu'elle est simplement remis à ceux qui s'en occupent, alors oui.


L'ACE est-elle inconditionnelle ? Tous les programmes sociaux sont assortis de conditions qui excluent certains bénéficiaires ou réduisent les prestations. L'universalité et l'inconditionnalité sont inextricablement liées.


Toutes deux découlent d'un désir d'allouer ou de distribuer des ressources ostensiblement rares selon les principes opposés d'équité et d'efficacité. La question est présentée comme un dilemme : soit les quantités sont suffisantes pour répondre aux besoins des bénéficiaires et tout le monde ne reçoit pas le bénéfice, soit tout le monde reçoit une allocation réduite et personne n'en a assez.


L'application de ces conditions qui éliminent les bénéficiaires ou réduisent les prestations est ce que l'on appelle l'examen des ressources. Cela existe au Canada. Le système d'aide sociale en est un exemple classique. Les prestations sont réduites intégralement si vos revenus dépassent un seuil dérisoire. Par exemple, au Québec, l'aide sociale fournit 690 $ par mois : soit 29,6 % de ce qu'il faut pour éviter la pauvreté. Tout revenu supérieur à 200 $ est déduit à 100 % de votre chèque. Le système d'aide sociale s'immisce dans votre vie privée : un couple reçoit 29 % de moins que deux individus seuls, donc des colocataires non déclarés commettent une fraude, selon les autorités.


Une autre façon de répartir des ressources rares est ce que l'on appelle au Canada "l'examen du revenu". Les prestations dépendent du montant des revenus déclarés sur les rapports d'impôt, ce qui nous ramène à l'exemption personnelle de 1917.


Vous ne serez peut-être pas d'accord avec le fait que cette caractéristique fiscale soit considérée comme un programme social embryonnaire et trouverez farfelu de l'appeler un transfert d'argent. L'identité de la forme et de la fonction n'est pas nécessaire pour établir une parenté évolutive.


Examen de ressources et examen des revenus


Les examens de ressources et de revenus ont certainement le même ancêtre : la volonté de répartir équitablement et efficacement des ressources jugées rares. Dans leur forme, ils sont pratiquement identiques, mais dans le contexte canadien, leur fonction ne pourrait être plus différente.


L'examen des ressources est une activité humaine par laquelle un bureaucrate recueille des informations sur des personnes sans défense et vulnérables afin de déterminer le peu qu'elles méritent. Il s'adresse tout particulièrement aux personnes à faibles revenus afin de s'assurer qu'elles ne reçoivent que le strict minimum. Il s'agit d'un système pervers dans lequel, si vous n'êtes pas encore assez démuni, vous devez vous défaire de vos biens ou de vos économies, sans tenir compte de vos intérêts. L'examen de ressources est un outil de politique sociale réservé aux personnes vivant dans la pauvreté et destiné à les punir pour leur condition.


L'examen des revenus est un algorithme qui s'applique de la même façon à tous sur la base des rapports d'impôt. La partie test de l'examen du revenu est réalisée par la déclaration d'impôt. Les Canadiens ne considèrent pas la déclaration d'impôt sur le revenu comme une atteinte à leur vie privée. De toute façon, le gouvernement sait déjà combien d'impôts vous avez payés, car votre employeur remet chaque mois vos déductions fiscales aux autorités, et ce depuis 1943. Revenu Canada ne sait pas ce que vous faites de votre salaire net, ne s'en soucie pas et ne vous dit pas non plus comment le dépenser. La diminution progressive des prestations pour les riches n'est pas stigmatisante, contrairement à ce qui se passe avec l'examen des ressources.


Personne ne remet en cause la pratique consistant à prélever sur les fonds riches l'équivalent de l'Allocation canadienne pour enfants dont ils ne tirent aucun avantage important et à récupérer ainsi une partie du coût d'un programme qui est immensément utile pour tous les autres. Les objecteurs de conscience à l'examen des ressources insisteront sur le fait que même lorsque ce recouvrement est effectué spécifiquement dans le but de récupérer les paiements du Revenu de base, il n'enfreint pas le principe de l'universalité car il est effectué dans le cadre d'une opération distincte, la main droite ne sachant pas ce que fait la main gauche. Au Canada, nous avons tendance à considérer cela comme une fiction élaborée et inutile. Dissimuler le mécanisme ne reussit guère à cacher le processus, qui ne sert à rien d'autre qu'à récupérer le Renenu de base auprès des riches.

Dans la foire aux questions du BIEN, sous la rubrique "pourquoi verser de l'argent aux riches quand ils n'en ont pas besoin ?" on lit:


  • "Il est efficace de verser le même niveau de revenu à tout le monde, du même âge, puis de le récupérer sous forme d'impôts auprès de ceux qui n'en ont pas besoin. L'alternative est de faire un examen de moyens sur les revenus pour que seuls les pauvres perçoivent ces revenus : mais cela entraîne de la complexité, de la stigmatisation, des erreurs, de la fraude et une ingérence bureaucratique dans la vie des gens."

Tout d'abord, "ceux qui n'en ont pas besoin" est un très mauvais choix de mots. Il n'y a pas plus de raison de demander aux riches qu'aux pauvres de justifier leurs besoins, comme le fait l'examen de ressources. Seuls les pauvres sont touchés par le fléau de l'examen des ressources. " Rembourser par les impôts " ne remet jamais en question vos besoins. C'est tout simplement ça "l'examen des revenus".


La plupart des philosophes et économistes membres du BIEN rejettent du revers de la main cette distinction entre l'examen des ressources et l'examen des revenus, considérant que ces deux concepts violent les principes d'universalité et d'inconditionnalité. Je ne peux pas accepter cet argument car il est basé sur des concepts qui ne se retrouvent pas dans le monde réel. Du moins, pas au Canada!



Revenu de base et Impôt négatif


Une autre question épineuse dans la communauté du Revenu de base qui peut sembler superflue aux non-initiés est la distinction entre le Revenu de base universel et l'impôt négatif sur le revenu. Toutes les parties au débat s'accordent pour dire qu'en termes de revenu net dans la poche du bénéficiaire ces mesures sont identiques. De même, leur coût net pour l'État est également le même. Enfin, les deux programmes peuvent être conçus de manière à ce que le bénéficiaire ne puisse pas faire la différence. Cela ne rend-il pas toute discussion sur leurs mérites relatifs sans objet? Peut-être que quelque chose m'échappe. Permettez-moi de citer au long ce passage de Davide Tondani :


  • "Du point de vue distributif, la contrainte de l'égalité des dépenses conduit à des résultats où l'impôt négatif est efficace au bas de la distribution, tandis que le Revenu de base distribue également les sommes aux revenus moyens. Cela semble suggérer que dans le cadre de l'Impôt négatif, une minorité de citoyens "pauvres" sont financés par des personnes ayant un revenu moyen et élevé avant impôt. Avec le Revenu de base, une minorité de citoyens plus riches redistribuent une partie de leurs revenus aux personnes à faibles revenus. Une plus grande efficacité dans la lutte contre la pauvreté avec l'Impôt négatif ainsi que la présence de taux marginaux d'imposition élevés sur les faibles revenus réduisent le bassin de travailleurs formés par ces mêmes personnes. D'autre part, dans le cadre du Revenu de base, les prestations plus faibles pour les personnes pauvres associées à un taux marginal d'imposition plus faible incitent les personnes à faibles revenus à participer au marché du travail. La préférence pour l'Impôt négatif semble favoriser la redistribution vers un éventail plus large de personnes à faibles revenus. En l'absence d'une contrainte légale pour accepter un emploi offert par le gouvernement, aucun effort personnel en termes d'offre de travail plus intensive n'est exigé de ces personnes. A l'opposé, il existe un modèle de "bien-être résiduel." Le Revenu de base est en revanche moins efficace pour augmenter les faibles revenus, mais est plus sensible à l'inégalité et à l'inclusion sociale, et soutient l'incitation au travail et la citoyenneté."—page 18

M. Tondani explique ensuite comment des objectifs divergents peuvent donner lieu à des résultats identiques :


  • "Bien que les politiques de l'impôt négatif et du Revenu de base tendent à aboutir à des résultats distributifs très similaires, voire identiques, il existe une grande différence épistémologique entre les deux. Les traiter sur un pied d'égalité peut donc entraîner un risque de confusion très réel quant aux véritables objectifs distributifs du législateur."—Tondani page 44


Il n'y a donc pas de confusion sur les résultats, mais seulement sur les objectifs du législateur. Je ne vois pas pourquoi la motivation est pertinente alors que les résultats sont identiques. Si la route de l'enfer est pavée de bonnes intentions, elle pourrait tout aussi bien être pavée de mauvaises.


Une bonne politique, même soutenue par de mauvaises intentions, ne devrait-elle pas être préférée à une mauvaise politique soutenue par de bonnes intentions ?



Rareté ou politique


Un dernier point au sujet de la rareté. La rareté des ressources est souvent présentée comme une évidence. Il s'agit en fait d'une décision politique, d'un choix de priorités.


Un argument souvent entendu est que si vous donnez des ressources à ceux qui n'en ont pas besoin et que vous fournissez des services gratuits à ceux qui peuvent se les payer, vous privez d'autres personnes qui n'ont pas les ressources et ne peuvent pas se permettre de payer les services. Cet argument ne fonctionne que si les ressources et les services sont insuffisants. Ce n'est pas une question de fait objectif. La rareté est une question de choix politique, de choix de priorités. Par exemple, les logements publics pourraient être plus abondants si les cuirassés et les avions de chasse étaient plus rares.


Il arrive peu souvent que le rationnement d'une ressource soit inévitable.



Conclusion


Ce que sont les programmes sociaux, les intentions qui les sous-tendent et leur histoire n'ont que peu d'importance par rapport à ce qu'ils font.


Je soutiens que l'Allocation canadienne pour enfants est un Revenu de base à saveur canadienne qui se rapproche le plus possible du Revenu de base dans la vraie vie Elle est universelle parce que tous les humains passent par l'enfance, elle est individuelle parce qu'elle est strictement basée sur le décompte et elle est inconditionnelle parce que vous n'avez pas à faire quelque chose de spécial pour la mériter, et vous pouvez en faire ce que vous voulez, sans questions. En outre, c'est un transfert d'argent régulier, prévisible, payé mensuellement, auquel vous pouvez vous inscrire avant même votre naissance. S'écarte-t-elle quelque peu de la forme idéale et orthodoxe du Revenu de base? Bien sûr! Où trouve-t-on des formes idéales dans le monde réel?


Certains diront que l'Allocation canadienne pour enfants ne constitue pas un exemple probant de Revenu de base ou que l'Allocation canadienne pour enfants n'est pas assez près du modèle classique pour être considérée comme telle. Quel est le degré de proximité requis? Qu'est-ce qui est probant? Répondre objectivement à ces questions est impossible. Aucune réponse n'est falsifiable.


Le fait d'appeler l'ACE un revenu de base va-t-il nuire à l'image de marque et semer la confusion sur ce qu'est réellement un Revenu de base? La confusion n'a rien à voir avec les lacunes de l'Allocation canadienne pour enfants en tant que Revenu de base. Chaque exemple aide à promouvoir le concept, indépendamment des écarts par rapport à l'idéal. Et plus le public connaîtra le revenu de base, plus il sera en mesure de repérer les points à améliorer dans les mises en œuvre existantes telles que l'ACE. C'est la rareté des exemples concrets à montrer qui rend difficile pour les gens d'établir des liens. Plus vous trouverez d'exemples, mieux les gens comprendront. Loin de semer la confusion, une terminologie cohérente et des exemples variés aideront à cristalliser le concept dans leurs esprits.


Le revenu de base ne peut pas se résumer à une définition, c'est une chose vivante, qui s'adapte constamment à un environnement local en mutation. Il est moins le fait des hommes que le résultat d'une adaptation aux conditions. Certaines conditions s'appliquent.


Publié en anglais sur le site du Basic Income Earth Network



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